En annonçant qu’ils ne tireraient pas sur la foule, les militaires se présentent comme la seule garantie contre le désordre qui risque d'enflammer le pays. Comme en Tunisie, l’armée détient aussi la clef de la transition politique. Si elle continue son parcours sans faute, l’armée égyptienne amènera à son pays, la stabilité à long terme et se posera comme le garant légitime de la démocratie.
Traditionnellement, l’armée était la clef de voûte du pouvoir égyptien.
L’armée égyptienne entretient, depuis le coup d’Etat populiste militaire de juillet 1952, mené par les Officiers libres, et Gamal Abdel Nasser, des liens étroits avec le pouvoir. Des son accession, le Général Hosni Moubarak a tout fait pour contenter son bras militaire en lui réservant notamment des avantages économiques, facilités, depuis les accords de Camps David, en 1979, par le budget d’1,3milliard de dollars par an, accordé à l’Egypte par les Etats Unis, spécifiquement pour sa défense,. Malgré cette proximité avec le pouvoir, l’armée égyptienne a toujours gardé de bons rapports avec le peuple. Elle avait déjà laissé, par le passé, les Egyptiens s’exprimer, comme, en 1977, lors des manifestations contre la crise alimentaire. C’est ce qui explique le bon accueil que lui a fait la rue, même avant qu’elle n’annonce sa neutralité, lundi soir. Dès les premiers jours, en effet, alors que des milices se créaient, et que des pilleurs risquaient de faire basculer des quartiers dans la violence, beaucoup d’Egyptiens tout en soutenant les manifestations ont souhaité voir les militaires garder l’ordre par leur présence sur place.
L’appui des Etats-Unis à l’armée.
Les Etats Unis semblent décidés à soutenir l’armée égyptienne dans son rôle de maintien de la paix. C’était le sens du message du Président Obama, mardi 1er février soir, lorsqu’il a fait l’éloge de l’armée et qu’il a évoqué les « tanks fleuris et les soldats qui embrassaient des familles entières » sur Tahrir square. L’armée a vraisemblablement reçu le conseil de ne pas tirer sur la foule tout en renforçant sa présence dans la rue, comme l’indique son attitude passive lors des rixes entre les pro Moubarak et les manifestants le 2 février. Tout indique que des assurances en amont ont été données à l’armée égyptienne. Le Lieutenant Général, Sami Enan, Chef d’Etat Major des Armées était au Pentagon la semaine dernière, à Washington . Il a aussi été reçu par Alexander Vershbow, le Vice Secrétaire américain à la Défense, les mercredi 26 et jeudi 27 janvier. La délégation égyptienne de 25 membres a dû écourter son séjour du fait de l’ampleur de la crise et rentrer au Caire, le vendredi 28 janvier.
Les Etats-Unis ont retenu les leçons de l’Histoire.
En ce sens, les Etats Unis semblent avoir tiré des leçons de l’Histoire. Ils souhaitent ne pas voir se répéter l’erreur commise, en Iran, début 1979 : Après le départ du Chah, lorsque le Général Abbas Gharabaghi, Chef d’état major de l’armée iranienne, très étroitement liée techniquement aux Etats-Unis, tout comme l’armée égyptienne d’aujourd’hui, avait retiré l’armée des rues. La sixième armée au monde à l’époque avait été ainsi retenue dans ses baraquements, laissant le champ libre aux plus radicaux qui, après avoir renforcé leur pouvoir sur la rue, et sur les points stratégiques du pays, étaient allés s’emparer des armes.
L’armée devra jouer le rôle de garant de la démocratie.
Dans tous les scénarios de sortie de crise, l’armée aura un rôle fondamental à jouer. A long terme, elle doit veiller à ce que de futures élections ne soient pas prises en otage par un parti qui risque, comme en Iran, de faire basculer la révolution dans une nouvelle forme d’autocratie. Il est clair que les Etats-Unis continueront à aider l’Egypte, si l’armée peut assurer une transition politique sans heurt, et parvenir à maintenir le pays hors du chaos. Elle peut ainsi non seulement veiller à ce qu’une véritable démocratie se mette en place, elle doit aussi faire en sorte que les règles démocratiques perdurent et qu’aucun parti ne décide de rester au pouvoir à tout prix. En un sens l’armée adoptera un rôle quasi constitutionnel sur le modèle de la Turquie , où les forces militaires ont garanti la bonne marche démocratique.
Des intérêts divergents.
Malgré les attitudes positives des derniers jours, il n’est cependant pas certain que les aspirations de la rue et celles de l’armée coïncident. L’armée souhaiterait sans doute voir une transition politique sans heurt qui mènerait à des élections, à l’automne. Elle se satisferait sans doute de la proposition du Président Moubarak et du nouveau Vice-président, Omar Suleiman, d’ouvrir le gouvernement à des partis d’opposition. Les manifestants, en revanche, exigent le départ du Président et de tout son gouvernement. Et il n’est pas certain que l’armée soit prête à accéder à cette demande. Le sang froid de l’armée sera sans doute testé dans les prochaines semaines et mois, par les extrémistes des deux bords.
Des questions demeurent.
En cas de départ du Président et de son gouvernement, l’armée donnera-t-elle son aval pour une élection anticipée qui risquerait de mettre au pouvoir un leader susceptible de s’opposer aux accords de Camp David et remettre en question les liens avec les Etats-Unis ? Peut-elle risquer de voir son pays suivre une politique étrangère moins pro occidentale? Enfin peut-elle se permettre d’accepter un paysage politique qui inclurait des islamistes? Si la révolution tunisienne a ébranlé le monde arabe, les récents événements en Egypte ont envoyé des répercussions dans le monde entier et consterné les Etats-Unis pour lesquels l’Egypte est le pivot de leur politique au Proche Orient . Aussi est-il tout à fait vraisemblable d’affirmer que Président Obama, malgré son discours affirmé, mardi 1er février, se pose lui-aussi les mêmes questions que l’armée égyptienne.
par
Brigitte Ades
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